À près de 10 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, l’ancien champ de glace Waptas’avance lentement sur un lit de schiste, au cœur des Rocheuses canadiennes. Cette plaque de glace lézardée, qui recouvre un gouffre d’une profondeur aussi élevée par endroits que la tour Eiffel, forme une mer d’une blancheur aveuglante. À peine perceptibles, de minces tentacules de glace gris acier trahissent la présence de ponts de neige, ces strates de neige compactée qui menacent à tout moment de s’effondrer et de précipiter le grimpeur dans l’abîme d’une crevasse sans fond.

J’ai traversé le champ de glace Wapta.

Tout comme le grimpeur doit faire preuve de discipline mentale lorsqu’il est appelé à prendre des décisions sur la montagne, le dirigeant doit user de discipline mentale quand vient le temps de prendre des décisions qui risquent d’influencer la réputation de son entreprise. Mais cela est plus facile à dire qu’à faire. Pourquoi ? Parce que la discipline mentale requise sur la montagne est très différente du processus décisionnel que j’applique tous les jours dans mon travail de directeur général et vice-président exécutif. De même, la discipline mentale exigée quand la légitimité de l’organisation est menacée diffère des compétences que requiert la gestion quotidienne d’une entreprise florissante.

Pour exercer une discipline mentale, un dirigeant doit marquer un temps d’arrêt, s’astreindre à ;une approche contre-intuitive et sonder les problèmes.Cette personnalité généralement de type A doit se livrer à une réflexion circonstanciée, plutôt qu’à un raisonnement ondé sur les données, et analyser les différents scénarios au lieu de se lancer dans l’arène. Peut-être la chose la plus difficile de toutes, il doit adopter une mentalité de survivant, et non de conquérant.

Quand sur le glacier le vent hurle, le mercure dégringole et l’obscurité tombe, le choix;facile pour un grimpeur est de baisser les yeux et de marcher droit devant. Mais voilà qui pourrait le tuer. De même, dans une entreprise, quand une crise éclate, une situation se complique ou les parties prenantes manifestent leur colère, le choix facile pour un dirigeant est de baisser les yeux et de marcher droit devant. Mais voilà qui pourrait tuer une réputation durement acquise.

La discipline mentale est l’ultime rempartqui, aux heures les plus sombres,permet de préserver la réputation de l’entreprise. Et la discipline mentale veut que les dirigeants prennent conscience de la situation. Ceux-ci doivent écarter l’approche « droit devant » : l’attitude excessivement sur la défensive, le rejet des points de vue externes, le recours aux orientations conservatrices ;du genre « c’est ce que nous avons toujours fait ».

En tant qu’alpiniste, plongeur, parachutiste, pilote et cyclotouriste, j’ai eu à prendre des décisions difficiles et inconfortables dans ma vie. Et j’ai eu à encourager des gestionnaires brillants, progressistes et bien intentionnés à faire de même. Pour ce faire, il faut admettre ses peurs, ce qui peut susciter un sentiment d’inconfort. Il faut ralentir le rythme des progrès accomplis, ce qui peut déplaire à autrui. Il faut faire preuve de prudence, ce qui peut être vu comme un signe de faiblesse.

Au même titre que la discipline mentale peut sauver la vie d’un grimpeur, elle peut édifier les piliers d’un nvironnement où les dirigeants peuvent survivre aux moments difficiles et accroître la confiance. C’est un périple qui vaut la peine d’être entrepris !

John Larsen est le directeur général du bureau d’Edelman à Calgary et le vice-président exécutif du groupe national Crises et risques de réputation (Canada). Comptant plus de 25 années d’expérience en gestion de la réputation, il a conseillé des centaines de PDG, de politiciens et de chefs d’entreprise. Il a occupé des postes de direction dans plusieurs cabinets de relations publiques d’envergure nationale et internationale. Il s’est également vu décerner le prix IABC Master Communicator et a été nommé membre de l’Institut des administrateurs de sociétés (IAS).